27 décembre 2020

"Hugo"

  Pour être parfaitement honnête, je ne saurais dire comment il est devenu une telle obsession.
  Non.
  A y réfléchir, je pense avoir quelques pistes. Il doit bien y en avoir trois ou quatre.
  De la nostalgie. Un transfert. Un refus de l'abandon. Une curiosité triviale jamais satisfaite. C'est la première fois que tous ces facteurs se retrouvent sur une page blanche.

  Pour être parfaitement honnête, donc, si je devais penser à lui aujourd'hui, me remémorer son visage, je ne saurais le faire. C'est un problème que j'ai ; je ne me souviens que peu des personnes qui composent ma vie, à moins de les avoir face à moi, évidemment. Par contre, je sais avec exactitude ce qu'elles m'inspirent. Lui, m'inspire de la nostalgie. De la nostalgie, même physique. Je ne pensais pas cela réellement possible, mais rien n'y fait ; quand je repense à ce que son regard me faisait ressentir, à ce que son sourire provoquait en moi, au détail infime de ce grain de beauté qui représentait tout un monde à mes yeux… bref, cet amas de cellules me rend indéfectiblement nostalgique. Représentation des possibles. Figuration de quelque convocation éthérée. Pousserais-je au lyrisme ? Puisque j'ai déjà basculé dans la folie la plus pure, n'ayons pas peur des mots et ne craignons la licence poétique : il est le phénotype du spleen.

  Je me souviens du moment durant lequel je l'ai vu sur l'écran de mon téléphone, depuis Tinder, alors même que je dégageais tout le monde avec dextérité, ne passant qu'une soirée entre colocs, à ne pas être tendres avec les profils que nous voyions défiler sous nos yeux, histoire de remonter le moral, entre deux bouchées de Kinder et autres M&M's, de Lucia.
  Lui, je le voulais.
  N'ayant pas de type d'homme définit, je ne saurais précisément dire pourquoi, mais il m'a interpellé. Il dégageait quelque chose ; un charme certain. Je n'avais pas été aussi captivée depuis une paire d'années et encore, à l'époque, ce n'était que d'un point de vue charnel, ce qui n'était pas (seulement) le cas, ce soir en question.

  Je me souviens du moment durant lequel nous nous sommes retrouvés pour notre premier rendez-vous, au Café Pouchkine, mon quartier général – je n'y convie jamais d'homme, ne voulant pas risquer de polluer ce temple avec de potentielles mauvaises ondes, mais j'ai fait une exception. Il y en aura une deuxième, mais il s'agit là d'une autre histoire.
  Le jour en question était l'un des seuls où j'ai éprouvé du stress. Je le figurais beau, il me faisait rire, j'aimais nos discussions et nos imbécilités… je le voulais. Et je stressais. Il avait encore plus de charme en personne. Même sans ses cheveux ; je m'étais intérieurement exclamée : "Mais non ! pourquoi il les a coupé ?? Il était tellement mieux avec !", ce que son sourire m'a fait totalement oublier. Il a un de ces sourires qui vous fait fondre et vous fige à la fois. Sa simple évocation me rend mélancolique. En cet instant, le seul défaut que j'arrivais à lui trouver était sa voix, un peu aiguë et sourde, loin des timbres bas, chauds et un peu rauques qui m'apaisent mais, trouvant ma propre voix d'un mortel ennui, je serais mal placée pour m'attarder dessus. Mais son sourire (encore !?) me fait oublier ce point et je serais prête à vendre père et mère – non, plutôt oncles et tantes, n'exagérons rien – pour l'entendre me dire certaines phrases, mots passés, de cette voix un peu aiguë et sourde. Redondances mélancoliques.
  Après ma délicieuse pâtisserie, nous nous baladions sur les quais de Seine, en ce jour de juin. Je ne voyais pas le temps défiler, moi qui avais plus ou moins prévu de rentrer tôt afin de pouvoir faire l'obligatoire débriefing de la journée avec Lucia – il faut dire que mon dernier ex en date, et ami de cette dernière, était particulièrement pénible à supporter pour elle depuis notre rupture, et encore plus depuis notre colocation ; cela lui permettait donc de se changer les idées, que d'avoir un aspect positif de ma vie sentimentale auquel s'accrocher, alors que ce véritable boulet fait de chair et d'os s'était enchaîné à ses pieds.
  Je le désirais tellement que je résolu de ne pas y aller franchement dès ce premier rendez-vous. Habituellement, le premier baiser précède la première baise et me voilà blasée et déçue. Je ne voulais pas que ça arrive. Je me trouvais bien, sur ce banc. J'étais bien, mais cela m'avait coûté, que d'esquiver sa manœuvre pour m'embrasser. Toutefois, il avait été subtil, ce que j'avais apprécié. Je ne voulais rien gâcher. Garder cette suspension du temps le plus possible.
  Je me sentais bien avec lui. Je me sentais de pouvoir absolument tout lui dire. Mon confident me manque, à présent. Presque autant que de savourer une sieste dans ses bras ; que de l'entendre me dire que je suis belle, avec cet air qui laisse à penser qu'il s'agit là d'une vérité absolue. – Il est le seul dont je crois les compliments, puisqu'il n'y avait aucune injonction derrière, ni aucune trophisation, contrairement à quelques autres.

  Il agissait un peu comme une drogue. Je n'en avais jamais assez et je regrettais immédiatement quand je décidais de me sevrer… ce qui arriva après quelques semaines passées ensemble. J'étais accro. Une vraie camée. Je tombais amoureuse ? Je ne sais pas. Tout ce que je savais, c'était que je n'avais pas les gonades pour cela et, face au flou que représentait l'appellation de notre duo, coincée entre l'insatisfaction de ne pas être sa "copine", ridicule appartenance nommique, et l'insatisfaction liée à mon blocage au niveau sexuel (résultat de longs mois de traumatismes consécutifs audit ex) face à quelqu'un qui allait forcément se montrer exigeant – par sa nature "épicurienne", dirons-nous –, il fallait bien que je gâche tout… finalement.

  Les regrets sont rapidement arrivés.
  Mais il était trop tard.

  Presque six ans plus tard, après des revirements de situations, des entrevues, des pleurs, des appels théâtraux, des cris, des liens en pointillés, des jalousies, des apaisements, des bras dans lesquels se réfugier, des lèvres dans lesquelles mordre, il est toujours trop tard.

  Clap !
  Scène suivante.

...

  "(Parfait, ça finit toujours bien entre les princes et les princesses !)"
  "(Très bien. On peut se permettre d'éventuellement mal commencer si ça finit bien.)"
  "(C'est vrai, ça rajoute des péripéties à l'intrigue.)"

17 décembre 2020

Pumpkin Autumn Challenge 2020 — Episode 4 : Fin de l'Automne des Enchanteresses

  Dernier menu posté un poil tard, en effet, mais la période des fêtes est toujours un peu compliquée pour moi et le boulot me bouffe, je n'ai le temps de rien !


  Pour rappel, voici mes choix pour ce premier menu :

Menu 3 — Automne des Enchanteresses

  • Les rêves d'Aurore  Les Femmes et le Pouvoir, Un manifeste, Mary Beard
  • Sarah Bernhardt, monstre sacré  L'Eventail de lady Windermere, Wilde
  • Les écailles de Mélusine  Le Mythe de la virilité, Un piège pour les deux sexes, Olivia Gazalé
  • Nausicaa de la Vallée du Vent — Walden ou La vie dans les bois, Henry D. Thoreau

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  Les Femmes et le Pouvoir, Un manifeste, Mary Beard, Editions Pocket, 2020

  Deux conférences faciles d'accès, que tout le monde devrait lire. Une bonne porte d'entrée pour ces questions, préambules parfaits avant de pouvoir creuser de notre côté. Le plus : les illustrations utilisées lors de ses présentations sont également au sein de l'ouvrage, ce qui rend le tout vivant pour qui serait un peu rebuté par les lectures de recherche (et, pourtant, c'est pas bien épais).

  L'Eventail de lady Windermere, Wilde, coll. GF Flammarion, Editions Flammarion, 2012

  J'ai beaucoup apprécié cette pièce, foncez-y tête baissée, c'est tout ce que je peux vous dire.

  Le Mythe de la virilité, Un piège pour les deux sexes, Olivia Gazalé, coll. Agora, Editions Pocket, 2019

  Une lecture essentielle pour absolument tout le monde. Un peu long au démarrage, mais ensuite, tout devient plus fluide et se lit rapidement malgré l'épaisseur de ce travail.
  Nullement vindicatif, nullement militant (même si on sent quelques prises de position), il est facile d'accès et pourrait changé tellement de choses ! Je vous l'ai dit : essentiel.

  Walden ou La vie dans les bois, Henry D. Thoreau, coll. L'Imaginaire, Editions Gallimard, 2016

  Intéressant, comme tout ce que j'ai lu de l'auteur jusqu'ici. Quelques longueurs dans les éléments comptables, notamment, mais c'est un reflet de la vie, alors c'est inévitable. Un bon ouvrage pour qui veut se (re)connecter à la nature et à la simplicité de la vie. Deux choses importantes en ces périodes, pour beaucoup, je le sens.

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  Vous aurez également remarqué que je ne publie plus ma pile à lire et que je ne vous ai pas fait de retour sur mes précédentes lectures. Pour l'année à venir, j'ai prévu les choses différemment. Mais on verra tout ça en janvier !
  Prochain article : un écrit de ma blanche main. J'espère que ça vous plaira.

—xoxo